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    Je dois l'écriture de mon premier poème à mon instituteur de CM1.

    Je ne l'ai pas écrit pour le lui offrir. C'est lui qui, un matin, nous a annoncé que nous allions créer des textes à partir d'une liste de mots choisis par la classe (un mot par élève).

    Je ne me souviens plus du mot que j'ai donné, mais je me rappelle très bien l'excitation de mes camarades et moi-même à mesure que la liste grossissait. Après avoir donné nos mots à inscrire, le maître a donné le signal du départ, et nous avons commencé rapidement à écrire (nous étions prévenus que le temps serait limité).

    J'ai assez vite trouvé un titre, Le coucou casse-cou, dont j'étais somme toute assez content, mais j'ai bientôt réalisé qu'avec la liste de mots proposés, ce titre n'allait me mener nulle part. Or, la fin du temps imparti approchait, et je ne savais toujours pas quoi écrire.

    C'est alors qu'un autre titre m'est venu, Un bon petit diable, et l'idée d'un texte dont j'ai tout de suite mesuré la platitude et la mièvrerie. C'était une série de clichés sur le repentir d'un petit garçon turbulent mais, au fond, désireux de bien faire, comme dans le roman pour enfants de la Comtesse de Ségur. Je n'en étais absolument pas satisfait, mais nous allions tous lire nos œuvres l'un après l'autre devant la classe, et je redoutais plus que tout la honte de n'avoir rien à lire et les moqueries qui s'ensuivraient.

    Quand vint mon tour de donner à entendre le fruit sans saveur de mon imagination en berne, j'eus d'abord l'espoir insensé d'improviser malgré tout une histoire à peu près audible à partir de mon premier titre, mais très vite, je me ravisai et me résignai à lire ce que j'avais écrit.

    Ce fut un triomphe. Mes camarades s'exclamaient, mon maître me félicitait. On recopia mon texte et on l'afficha dans la classe, à côté d'un autre poème, écrit pour la même occasion par Emmanuelle, une des meilleures élèves en français, et qui s'appelait Les braises. Aucun autre texte n'eut droit aux mêmes honneurs.

    Plusieurs fois, j'ai relu les deux poèmes côte à côte. J'aimais beaucoup celui d'Emmanuelle. Je n'aimais pas le mien. Je l'avais écrit pour complaire aux exigences scolaires d'un enseignant que je n'aimais pas. Je ne me voyais pas en écrire d'autres avant longtemps et, de fait, je n'en écrivis plus, ou presque, jusqu'à l'âge adulte.

     

     


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    Carnet n° 3, début juillet

     

    Mon père était un raconteur hors-pair. Il n'était pas non plus du genre à reculer lorsque l'occasion se présentait de se payer gentiment la tête de quelqu'un. Voici comment un jour il s'offrit celle de son supérieur dont il connaissait l'avarice.

    L'histoire se passe en Turquie, où mon père a vécu et travaillé quinze ans. C'est mon histoire préférée.

    Ce jour-là, mon père s'était avéré un collaborateur particulièrement précieux et, pour montrer sa gratitude, son chef lui avait offert exceptionnellement de prendre avec lui un verre après le travail.

    Conscient du caractère extravagant de l'invitation, mon père décida de prendre les choses en mains et accepta à la condition qu'ils aillent tous les deux dans un café qu'il connaissait bien. Sitôt la proposition adoptée, mon père fila jusqu'au dit café et avisa un des garçons de service pour le prévenir de la présence de son patron avec lui quelques heures plus tard.

    Je vous ferai signe, lui expliqua-t-il sur le ton de la confidence, et vous viendrez prendre notre commande. Lorsque vous me demanderez ce que je compte boire, vous m'entendrez vous dire distinctement « comme d'habitude ». Voici alors ce que vous apporterez...

    A l'heure convenue, mon père et son patron pénètrent à l'intérieur du café et le garçon s'approche de la table où ils viennent de prendre place.

    -  Vous êtes sûr de toujours vouloir m'inviter ? Demande poliment mon père.

    - Absolument, monsieur Colombani, j'y tiens énormément, vous m'avez tiré d'un sacré pas aujourd'hui et je vais vous payer ce verre. Garçon, un panaché s'il vous plaît !

    - Et pour monsieur, ce sera ?

    - Et bien, pour moi, ce sera comme d'habitude !

    - Très bien monsieur

    Le garçon s'éloigne.

    - Vous avez pris quoi, monsieur Colombani ?

    - Oh, j'ai pris comme d'habitude.

    - Ah ! Et qu'est-ce que c'est ?

    - Vous allez voir, c'est très bon.

    Quelques minutes passent, le garçon apparaît avec la commande. Il commence par servir le panaché et puis, se tournant vers mon père et posant devant lui sa consommation.

    - Et pour monsieur voici... comme d'habitude.

    Le garçon de nouveau s'éloigne. Quelques secondes s'écoulent. Mon père a pris son air le plus naturel. Son chef, assis en face de lui, le dévisage les yeux ronds.

    Et puis...

    - Monsieur Colombani... vous buvez du champagne ?!!!

    - Oui, monsieur... comme d'habitude.

     


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